Tchad, le Sahara des origines

Au nord du Tchad, l’ennedi fait rissoler ses massifs de grès rouge au grand soleil. Paysages abruts, chameaux volubiles, peintures rupestres oubliées et ténébreux pasteurs au sang chaud. C’est le pays toubou, grumeleux comme une rose des sables, sauvage comme le sahara de papa. 

Des heures de route au milieu d’une infinie et desespérante platitude où seuls quelques tourbillons de puossière viennent rompre une monotonie qui finit par gripper l’âme. Les grandes étendues, c’est tout de même mieux vu d’avion, disait Théodore Monod qui s’y connaissait en traversées au long cours. Quelques carcasses de chars, vestiges pitoyables de la débandade libyenne de 1987, attendent encore le retour de leurs maîtres le canon en berne, pointé vers le sable.Et puis, alors qu’on ne s’y attendait plus, les premières forteresses de grès finissent par émerger d’une terre chauffée à blanc. La vie reprend soudain ses droits à l’approche de ces chicots au teint rougeaud. Des compagnies de biquettes trottinent barbiche au vent, une ânesse et son petit crottent au frais sous un bosquet d’acacias, tandis que des zèbus à la bossemollassonne se prennent pour des zèbres et entament de vaines cavalcades. Quelques kilomètres avant Fada, « capitale » empoussiérée de l’Ennedi, des militaires à béret rouge et fusil mitrailleur noir interceptent les véhicules. « Avez-vous des armes ? » nous demande un bidasse au treillis fatigué. « Non, rien ? Même pas un pistolet ? » Il a l’air déçu.

Derrière le poste, de gros fûts peinturlurés en blanc marquent la limite de la zone déminée.Sur les 50 dernières années, le Nord du Tchad n’a peut-être connu que 10 ans de paix. Certains pays sont doués pour la rébellion, l’insurrection ou l’invasion par des troupes étrangères. Le Tchad est l’un des premiers de sa classe. Alléché par un sous-sol plein de promesses et la perspective de repousser les frontières de la Jamahiriya à peu de frais, Khadafi lance ses troupes en 1979 à la conquête du quart nord du pays, de la bande d’Aouzou jusqu’à Faya-Largeau. Elles n’en seront délogées qu’en 1987 par l’armée d’Hissène Habré, non sans avoir seé derrière elles un charmant cocktail de mines antichar et de mines antipersonnel destinées à couvrir leur retraite. Même si la zone a été néttoyée à 90%, mieux vaut rester sur les pistes balisées et laisser les chèvres déminer le terrain à leur façon.

Chameaurama

Toute cette agitation de chenilles et de godillots aura au moins eu le mérite de conserver le nord du Tchad dans son jus. L’Ennedi évoque encore ce Sahara immémorial caparaçonné dans ses rugueux massifs gréseux, un Sahara rustique et brut de décoffrage tant pour ses paysages que pour sa population. Dans la vallée de Terbeï, la ceinture rocheuse se déchire soudain sur une arche magistrale, surmontée d’un piton pointé vers le ciel comme l’index d’un imam déclamant une sourate. Le vide sait parfois se faire magnifique.

Mais c’est peut-être à la guelta d’Archeï que ce désert prend le plus aux tripes : chaque matin, une terrible clameur monte du fond des gorges, un choeur de cris rauques et primaires qui semble surgir tout droit d’une pré-histoire où le quotidien se règle à coups de crocs et de griffes. Les troupes de diplodocus gueulnt à l’unisson autour des points d’eu au crépuscule ne faisaient sûrement pas plus de raffut. En janvier et février, lorsque les points d’eau se font rares, plus d’un millier de chameaux viennent se désaltérer à l’ombre des hautes parois dns une profusion de blatèrements qu’on a jamais connus chez Pinder. Les bêtes se bousculent, glissent sur les dalles comme Bambi sur la glace et finissent dans l’eau jusqu’au poitrail dans une joyeuse débauche d’éclaboussures. Dans la confusion, les jeunes appellent leur mère, les mères appellent les petits et les vieux mâles ronchonnent à s’en faire péter la bosse. Un point d evue panoramique du haut des falaises permet d’observer tout à son aise cet extraordinaire aquaboulebard des camélidés.

Dans les parties reculées de la guelta, là où les roseaux jettent un voile pudique sur l’eau trouble, de sombres silhouettes glissent furtivement sous la surface. Sept crocodiles, colonne oubliée au coeur du Sahara, continuent de barboter dans leur trou d’eau alimenté par quatres sources réputées intarissables. Que peuvent-ils bien se mettre sous la dent ? Ces tout petis barbus, fretin ridicule qui ne ferait même pas les beaux jours d’un caton affamé ? Des insectes, des crottes de dromadaires ? En attendant, nos mystérieux sauriens font des rondes dans l’eau.

Stupeur et tremblements

L’Ennedi est un désert habité. très habité même. Il suffit pour s’en convaincre de s’éloigner derrière une paire de buissons providentiels afin de satisfaire un besoin naturel pour qu’immanquablement, un bipède surgise de terre et vous découvre pantalon aux chevilles alors que l’instant d’avant l’horizon affichait un vide intergalactique. Encore une fois, le Toubou confirme sa réputation d’électron libre, aussi insaisissable que le sable.

Un « peuple farouche et fier » nous disent directement les guides. Sans doute. L’anecdote qui suit illustre toute la difficulté pour un Occidental à pénétrer la psyché toubou. Sous la grande arche d’Aloba, une poignée de ces éleveurs à réputation sulfureuses’est mis en tête de vendre aux touristes de passage – oui, il y en a – quelques merveilles de l’artisanat local : grisgris au cuir patiné par les voyages au fond d’un sac, poignards en fer-blanc incapables de couper une tranche de paté, colliers de koris qu’il n’est possible de porter qu’à Halloween, bref toutes ces babioles qui, une fois l’ivresse du voyage dissipée, nous interpellent : lors de l’achat, étions-nous victimes d’un perfide maraboutage ou sous l’emprise de substances hallucinogènes ? Les vendeuse, car ce sont surtout des femmes, habitent une poignée de tentes de nattes à quelques jets de pierres de là. Quelques jeunes filles aux joues fraîches nous invitent, mes compagnons de voyage et moi-même, à nous asseoir sous la paillote. Du moins, c’est ce que nous comprenont.

A l’intérieur, deux cuvettes d’émail, une louche, une corbeille tréssée, une grande outre en peau de chèvre et quelque frusques suspendues semblent les seules richesses de la maisonnée. Alors que nos hotêsses nous apportent une grande calebasse d’eau fraîche avec force minauderies et ricanements post-adolescents, deux matrones fulminantes, l’une armée d’une barre de fer, l’autre d’un solide baton, font irruption sous la tente et nous admonestent avec véhémence. Stupeur et tremblements de l’assistance ! Quand l’une des matriarches édentées commence à faire tournoyer sa massue à la manière d’un hélicoptère, chacun renfile ses sandales et se précipite vers la sortie. Les bonnes choses ont une fin et il faut bientôt décamper sous une averse de gamelles rouillées et de piles usagées. Toute la communauté est venue à la rescousse : attirée par le spectacle et le goût du sang, une troupe de morveux vient prêter main forte aux deux harpies mais aussi, plsu surprenant encore, les mêmes jeunes filles qui nous avaient invités.

Toubou or not Toubou ?

Quelques jours plus tard, Julien Brachet, géographe de l’Université Paris I et Judith Scheele, anthropologue d’Oxford, tous les deux basés pour un an à Faya-Largeau, analysent la scène à l’aune de leurs connaissances. Il faut bien la Sorbonne et Oxford réunies pour décrypter les moeurs toubou ! « C’est une société pastorale qui privilégie l’exogamie » explique Julien. « On va chercher s afemme ou son mari loin du clan. Les visiteurs sont donc parfois invités par le jeune. C’est une façon de lier connaissance. Mais dans le même temps, les anciens se sentent obligés pour des questions d’honneur de chasser l’étranger de facçon plus ou moins démonstrative. C’est ce qui s’est passé avec vous sauf que vous êtes de étrangers et que cela n’a aucun sens. En fait les Toubous ne savent pas trop quoi faire avec les touristes. L’attitude des enfants à cet égard est sigificative : ils sont tantôt joueurs et ouverts, taquins et curieux, tantôt hostiles et belliqueux, arrogants et chapardeurs! »  »Les Toubou règlent leur conflit à coups de couteau. les hommes ont aussi des poignards de coude qu’ils dégainent dès que leur honneur est en jeu. Ils évitent cependant d’aller jusqu’au meurtre, le « prix du sang », la compensation pour un mort étant très élévé. L’autre jour, une fille que je connais avait le visage tout tailladé. Je lui demande ce qui s’est passé et elle me répond que c’est rien, seulement un différent avec sa tante à propos d’un héritage. Et elle ajoute en rigolant : « tu verrais ma tante, elle a bien plus de cicatrices que moi. » Une peuple « farouche et fier » disent les guides de voyage…

Source : A/R Magazine voyageur

neorizons_Sahara

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