Au sommet du Tao

La spiritualité taoïste est enracinée au coeur des monts Wudang, et dans la province chinoise du Hubei. Monastères et sanctuaires attirent chaque année un million de pèlerins. Immersion dans ces lieux consacrés à la méditation et aux arts martiaux.

Un portique de pierre encadre la volée d’escaliers menant au pic du Pilier céleste, le plus élevé du massif des Wudang. « Arriver tout en haut d’un sommet est essentiel. C’est de là qu’on peut le plus facilement communiquer avec les divinités », explique maître Zhang, la trentaine. Une tunique de coton bleu profond, des guêtres blanches, des chaussons de toile noire et un petit chignon enroulé sur le crâne… Son allure révèle immédiatement son identité : Zhang est un adepte du tao, la plus ancienne religion de Chine. En bon pèlerin, il est venu du sud jusque dans la province du Hubei pour offrir ses respects à Zhenwu, la divinité protectrice de la plus influente montagne taoïte de l’empire du Milieu.

L’ascension touche à sa fin. Encore quelques centaines de marches de pierre et le moine atteindra le sanctuaire d’Or, qui trône à 1 613 mètres sur l’éperon rocheux. Une montée sportive à travers un paysage d’estampe, avec ses turbans de brume et ses pitons ponctués de vénérables pavillons, de grottes sacrées et de stèles gravées. Maître Zhang avance serein, il synchronise sa respiration avec ses pas pour, dit-il, « mieux fluidifier l’énergie interne et moins se fatiguer ». Mais lorsqu’il parvient au palais de l’Harmonie suprême, ultime temple avant le saint des saints, le fidèle a un mouvement de recul. À ce niveau du parcours, n téléphérique déverse une foule telle qu’elle engorge les voies creusées à même la roche.  Le jeune religieux piétine une demi-heure avant de parvenir au sommet, où un miniscule édifice cubique abrite une statue en bronze de Zhenwu. Sa déception est perceptible : à l’entrée du sanctuaire, des dizaines de Chinois se poussent du coude pour se prendre en poto où brûler des bâtons d’encens. « Trop de monde »Â soupire Zhang, avant de s’incliner en direction de la divité puis d’amorcer la descente. À peine jette-t-il un regard sur le écor somptueux qui s’étale à ses pieds, une succession de turgéscences rocheuses et de profonds précipices, où la végétation serpente telle une queue de dragon vert déroulant ses écailles.

Pour leur beauté, les Wudang Shan (ainsi désigne-t-on ces monts en mandarin) ont, depuis la fin du XIIIème siècle, enflammé l’imagination des lettrés. Et restent aujourd’hui nimbé de mystère dans l’imaginaire collectif. Mais en ce matin d’octobre, en pleine saison touristique, le mythe en prend un coup. Comme partout dans cette société chinoise de plus en plus prospère et friande de loisirs, le tourisme a explosé : 3,6 millions de visiteurs ont déferl ici en 2011, douze fois plus qu’en 2003. Le fruit, aussi, des quelques 1,1 milliard d’euros alloués par les autorités depuis le tournant du millénaire pour moderniser les infrastructures hôtellières, rénover les bâtiments historiques et faciliter l’accès à un massif coupé du monde…

Mais les touristes ne sont pas les seuls à troubler la torpeur qui a si longtemps caractérisé la vie sur ces montagnes. Le neuvième jour du neuvième mois lunaire approche et attire une myriade de pèlerins : selon la légende, c’est à cette date précise et ici même, sur une falaise baptisée Nanyan, que Zhenwu aurait trouvé la « voie » (tao signifie « voie juste ») et rejoint le monde des immortels. En 2012, cette fête taoïste locale coïncidait avec un autre anniversaire : les 600 ans de la sacralisation des Wudang Shan par la dynastie Ming, perçue comme le point de d’orgue d’une histoire débutée des siècles plus tôt. Selon les historiens, des ermsites taoïstes avaient trovué refuge dans les grottes et les fôrets du massif dès le IIème siècle de notre ère. Des ermitages et lieux de culte, comme le temple des Cinq Dragons, furent érigés dans la montagne sous le règne des Tang, au VIIème siècle. Dès lors, l’influence des Wudang Shan n’a cessé de s’étendre.

Au cours de la dynastie Yuan, des pèlerins y affluaient pour rendre hommage à Zhenwu. Puis le site est devenu un centre religieux réputé dans toute la Chine. Ce complexe cerné de murailles pourpres s’inspirait de la Cité interdite de Pékin et possédait le même statut : seuls les légats officiels du « fils du Ciel » (surnom de l’Empeureur) y avaient accès. Une soixantaine de ces ensembles architecturaux est toujours debout et inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1994.

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