Sculpture : du bois sacré sur le marché international

Pierre Kaiha est assis en tailleur dans la forêt, parmi ses poules. Un couteau rouillé dans la main gauche, il lacère un morceau de bois de rose. Le geste est nerveux, presque désordonnée. Ses enfants observent.

En quelques minutes, la simple planche devient statuette. Élégante, gravée de personnages minimalistes et délicats. « On nous appellesculpteurs, dit Pierre en faisant signe à son fils cadet de tuer une poule pour le déjeuner. Mais autrefois, tous les Marquisiens savaient tailler le bois. Nous étions des guerriers, il nous fallait fabriquer nos arcs, flèches, herminettes, hachettes… Parfois avec des os de boeuf sauvage, pour les charger d’encore plus de « mana », de pouvoirs magiques, que les autres. »Â 

Au XIXème siècle, la christianisation a chassé cette tradition. Les hommes de Dieu n’autorisèrent que la sculpture d’objets de la vie quotidienne comme les manches de couteau ou les pilons qui permettaientde broyer le fruit de l’arbre à pain pour préparer le « poipoi », une pâte fermentée dégustée avec du lait de coco. Ils tolérèrent aussi le Tiki, ce personnage massif à grosse tête, aux bras repliés vers l’avant, devenu gardien des maisons et qui figure l’ancêtre de tous les hommes.

« Nous avons renoué avec notre part à partir du moment où il a commencé à être reconnu hors des frontières de l’archipel »Â poursuit Pierre. Le marché des sculptures marquisiennes s’est en effet enflammé il y a une quinzaine d’années. « Mais cet emballement ne doit pas nous pervertir, relativise l’homme. Ce que nous faisons a un sens sacré. Ici, les grands sculpteurs savent que ce n’est pas nous qui décidons ce que l’objet va devenir, mais que ce sont les esprits qui guident notre ain. »

Dans quelques heures, quelques jours, le bois de rose de Pierre sera devenu un casse-tête, une massue. Il quittera les Marquises pour les étagères d’un collectionneur californien.

Source : Geo