Raiatea : au centre d’un monde

Sur la côte sud-est de Tahiti, Taputapuatea, avec ses mystérieux alignements de pierres, enflamme l’imagination. Chargé de porter le dossier auprès de l’Unesco, le séanteur Richard Tuheiava raconte l’histoire du site. 

Pourquoi les anciens ont-ils baptisés ce lieu Taputapuatea ?

Ce nom signifie « trois fois sacré ». Il s’agit d’un « marae », autrement dit, un temple à ciel ouvert où, à partir du Vème siècle, se sont réusnis des prêtres qui y célébraient des cérémonies. Il fut édifié sur le lieu « tabou » de Te Pö, considéré dans la cosmogonie polynésienne dans l’antre des ancêtres et des divinités.

Comment expliquez-vous le fait que le rayonnement du site ait dépassé les frontières à ce point ?

L’île Raiatea se situe au coeur de ce qu’on appelle « le triangle sacré polynésien », qui s’étend de Hawaii au nord, à Rapa Nui (l’île de Pâques) à l’est, jusqu’à la Nouvelle Zélande au sud-ouest. La légende dit que c’est à Taputapuatea que sont partis des hommes et des femmes sur de grandes pyrogues pour conquérir le monde polynésien. Ils emportaient toujours avec eux une pierre du temple afin que, une fois arrivés sur place, ils puissent y édifier à leur tour un marae. Dès le XVème siècle, l’aura de Raiate fut telle qu’il devint le lieu de rencontre des prêtres venus de toute la Polynésie. Lors des fêtes de couronnement des rois, par exemple, il acceuillait jusqu’à 30 000 personnes. Ce lien culturel particulier explique pourquoi la Nouvelle-Zélande et Cook participent avec la France à l’inscription du site à l’Unesco.

Est-il vrai, comme on le raconte, que ce temple était aussi le centre du savoir ?

Oui, Taputapuatea est le berceau de la culture polynésienne, c’est ici que les religieux transmettaient la science de la naviguation. Ils en avaient la compétence puisque, pour devenir prêtre, il fallait avoir parcouru le Pacifique et surtout en être revenu ! Ce qui était loin d’être évident à une époque où les hommes avaient pour seul boussole la lune et les étoiles.

Pourquoi l’enseignement se déroulait de nuit ?

Justement pour pouvoir mieux observer les astres. En outre, la croyance veut que les esprits viennent attaquer les gens durant leur sommeil. La nuit était donc employée aux activités, à l’enseignement et le jour, à se reposer. Ceci explique le désarroi des premiers missionnaires qui ont cru que les habitants étaient ici plus lymphatiques qu’ailleurs !

La marae fut-il aussi un lieu de rites sanguinaires ?

Taputapuatea était dédié au dieu Oro, la divinité la plus puissante du panthéon polynésien : celle qui prenait les armes, qui aimait faire couler le sang. Pour la rassasier, on a pratiqué ici de très nombreux sacrifices humains. Mais contrairement à ce que l’on observe avec d’autres civilisations, les sacrifiés étaient la plupart du temps des volontaires qui pensaient accéder à l’éternité. La mort était donnée par un prêtre qui fracassait la tête de l’élu. Ces vies ajoutaient du « mana » autrement dit de la puissance magique, au marae.

Les Polynésiens considèrent le site de Taputapuatea comme le lieu le plus puissant, le plus chargé d’énergie au monde…

C’est un sentiment que l’on éprouve encore en déambulant autour de l’esplanade centrale, le long des murets et au pied des rocs dressés. Un peu comme si tous ces éléments prenaient vie et racontaient notre passé glorieux. Le marae est connu et préservé des foules. De nombreux Polynésiens lui attribuent toujours des qualités magiques. D’ailleurs, beaucoup viennent la nuit implorer les esprits, leur demander des conseils et entrer en relation avec ce que nous, Polynésiens, appelons « le monde sombre », celui de nos ancêtres, partis conquérir le monde.

Source : Géo

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