Québec : la solitude du coureur des bois

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Québec : la solitude du coureur des bois

Au coeur de l’hiver, le citadin brûle de décrocher de la civilisation et d’aller renouer avec la grande forêt quand les branches des arbres craquent sous les assauts du froid et que des gouttes brillent sous les nez comme des étoiles. Ce rêve rafraîchissant prend corps dans les espaces givrés des Laurentides et de la Mauricie. Mais encore faut-il survivre à son stage de survie ! Christophe Migeon raconte… 

Je n’ai jamais eu de chance avec les hélicos. Ce n’est pas qu’ils se crachent quand je monte dedans, mais plutôt qu’ils ne viennent jamais au rendez-vous en raison d’évènements aussi variés qu’une mauvaise météo, une pénurie d’essence ou une diarhée du pilote. Alors quand une épaisse couche de ouate grise s’est abattue sur la forêt pour mieux l’étrangler de son écharpe de brume, j’étais bien persuadé que mes  » 2 jours de survie avec largage par hélicoptère en milieu forestier «  allaient se transformer en 2 jours de parties de crapette au coin du poêle. Mais les Laurentides sont pleines de surprises. L’hélico a fini par émerger du brouillard et s’est posé. Chapeau le pilote. Même si le nom de sa compagnie, Héli-Tremblant, ne semblait pas être le fruit d’une étude marketing très poussée. Au terme d’un vol – très remuant en effet – d’une dizaine de minutes au milieu d’une soupe d’où n’émergeait que les grumeaux de quelques têtes de sapins, le gros scarabée de métal nous a jeté le guide Alex et moi au sommet d’une petite montagne. Le bourdonnement s’est évanoui dans le coton du ciel et nous a laissés tous les deux, vaguement hébétés, plantés dans la neige jusqu’aux cuisses.

 » On est dans la merde « 

Nous étions seuls, seuls dans la forêt. Alex n’avait pas la tête de son CV : passage chez les paras, 5 ans d’infanterie, 5 ans de légion dont 3 en Guyane, saupoudrés de guillerettes  missions en Bosnie, Côte d’Ivoire et autres rafraîchissants stges commandos.  Il ne resemblait ni à Jean-Claude Van Damme ni au Général Bigeard. Et ce n’était pas plus mal ainsi. Après moins de 100 m, il a repéré ce qui lui semblait être l’endroit idéal pour passer la nuit : un gros bloch rocheux ceinturé de quelques troncs effondrés.

Après avoir déblayé la neige, nous nous sommes activés pour monter une charpente en branches mortes digne d’un Compagnon du Tour de Franc avant d’attaquer le sapinage, tâche beaucoup moins ludique.  Toiture et matelas sont très gourmands en branches de sapins qu’il faut aller couper de plus en plus loin, de plus en plus haut à chaque trajet. Ah mon beau sapin, tu n’es plus vraiment le roi des forêt après notre pillage… Au bout de 3 heures de labeur dans des effluves de bonbons des Vosges, nous avions finalement achevé un abri suffisamment décent pour que Davy Crockett y passe son week-end. La noirceur s’en est venue d’un coup et il était grand temps de s’attaquer au feu.

Le citadin à mocassins à glands ne pense pas forcément à « poser » son foyer sur une bonne couche de bois vert. Cela évite pourtant à la neige de fondre et de se retrouver avec un feu au d’un trou de plus d’un mètre. L’édition 1975 du Manuel des Castors Juniors est formelle sur ce point. Un coup de pierre à feu sur quelques morceaux d’écorces de bouleau et les paumes se tendent vers la lueur d’une bonne flambée au-dessus de laquelle grésillent bientôt de juteux steaks de cribou. Du moins, c’est ainsi que cela se passe dans les films. Mais ce soir-là, les premières flammes qui parassaient pourtant du meilleur augure, ont décié après quelques rougeoiements de circonstance de prendre leur congé. Le bois, gorgé d’humidité, givré de l’intérieur refusait toute idée d’inflammation.

Une déception d’homme de Néandertal frigorifié sur le seuil de sa caverne m’a soudain étreint le coeur. Au plus profond des marigots guyanais, Alex n’avait jmais connu pareille déconfiture. Avec un archarnement d’urgentiste refusant d’abandonner son patient moribond, le malheureux a sorti de son sac un attirail de pyromane et a déclaré la guerre à ces foutues branches mortes pendant plus de deux heures : briquet, allume-tout à base de coton et de vaseline, pastilles de pétrole, toile de jute imbibé de kéronsène… ne manquait plus qu’un lance-flamme de la Wehrmacht. Les branches lui ont soufflé au visage leurs derniers ronds de fumée et ont bien rigolé. Il s’est redressé et a déclaré : « on est dans la merde » , phrase sublime qui signifiait que le stage de survie commençait vraiment.

L’appel du poêle

Il n’y avait plus qu’à regagner nos sacs de couchage – 30° – autant survivre sans perdre un orteil – et déguster le dîner à base de fruits secs et de barres de céréales avant de sombrer dans un coma douillet.

Le lendemain, nous étions coincés  dans les duvets comme une cartouche coincée dans un canon mais bien vivants. Il ne faisait que -10° mais ces températures, aussi clémentes fussent-elles, avaient transformé le vaillant campeur de la veille en vieillard d’une exaspérante lenteur. Il a bien fallu une heure pour s’extirper du sac, retrouver gants et chaussures pendues à l’intérieur pour sécherun peu et enfiler ses chaussures glacées ainsi que les guêtres. Le ciel gris ne promettait rien d’autre qu’un déluge de corneilles gelées. Il nous fallait retrouver Val-des-Lacs et le camps Kanatha-Aki d’où l’hélico nous avait emmené à moins de devoir reconstruire une cabane, perspective qui en la circonstance ne nous séduisait qu’à moitié.

La forêt s’ouvrait devant nous et entre duex caillements de geai bleu, des aboiements ont percé dans le lointain. Des chiens, des hommes, la vie, avec ses pancakes au sirop d’érable et ses Chocapics. Alex a pris l’azimut et a commencé à batailler pour progresser dans la neige. « Les chiens, c’est un bon indice, mais le mieux ce sont les rivières qui te ramènent toujours vers la civilisation. » La neige lui montait jusqu’à la taille et malgré les -10°, il dégoulinait déjà de sueur. Dans son sillage, je n’en avais que jusqu’aux cuisses. J’ai pensé à Shackleton en déroute sur la calotte antarctique contraint de manger ses chiens. J’ai pensé à Mike Horn affrontant les vents sibériens et à son pif gelé semblable à une bougie fondue. Et uis un écureil a sorti sa frimousse ahurie d’une tronc de merisier et nous a lancé, un rien mérpisant : « N’en faites pas des tonnes les gars, moi je passe toute l’année ici à me geler les noisettes ! ». Les admonestations de ce rongeur nous ont finalement rassurées sur l’avenir.

Cinq heures plus tard, au prix de quelques relevés à la boussole réquisitionnée en dernier recours, nos déamulations de Hurons nous ont conduit sur les berges du petit Lac de l’Original, où un aimable retraité nous a rapproché d’un coup de « char » de Val-des-Lacs. Les épinettes et les sapins baumiers nous souriaient de toutes leurs aiguilles. Nous avions survécu. Avec la satisfaction du trappeur assuré de passer la nuit u chaud, Alex allait pouvoir m’enseigner en toute quiétude l’art de trouver le sud à l’aide d’un cadran de montre, de confectionner des raquettes en branches d’épicea ou de se recoller une couronne dentaire avec de la résine de sapin. La survie c’est quand même mieux allongé sur une peau d’ours  à coté d’un poêle qui ronfle.

L’art de la trappe

Pour parfaire mon apprentissage de coureur des bois, je me suis rendu à quelques centaines de kilomètres de là, au coeur de la Mauricie, contrée historique de la trappe et de la traite de fourrure. On y trouve encore aujourd’hui les rejetons de ces Français audacieux qui, au XVIIIème siècle s’étaient fondus dans le paysage en adoptant les moeurs huronne ou algonquines, épousaient les Indiennes pour mieux percer les arcanes de la grande forêt et en rapporter encore plus de peaux.

Les ancêtres de Tony Rivière étaient Normands, ce qui ne l’empêchait nullement d’avoir des épaules de déménageur breton. Ses vieilles tantes avaient retrouvé dans la poussière des fiches d’État Civil la trace ‘une trisaïeule Abenaki et il n’était pas peu fier de sa carte de certificat de sang indien, gage d’une certaine conivence avec la nature. Son terrain de jeu était la pourvoirie du Lac Blanc, 3 550 ha de forêts et de lacs vers Saint-Alexis-des-Monts, un territoire où l’on ne progresse qu’en écartant les branches et qui lui convenait parfaitement.

Le principe des pourvoiries, grande tradition québecoise, est de permettre aux citadins éreintés par la ville de retrouver la forêt de leurs aïeux, en leur proposant des activités d pêche, de chasse, parfois de piégeage, bref de renouer avec la vie de trappeur. Des bungalows surchauffés et équipés de TV à écran plat remplacent avantageusement les tentes enfumées d’antan. « C’est mon grand-père qui m’a appris à jouer dehors. Aujourd’hui les gamins restent à l’intérieur avec leurs consoles de jeux vidéos et ça fait des Tanguy » se désole Tony.

En qualité de guide, il emmène à son tour les gens « jouer dehors ». Nous avons chaussé des raquettes – pas ces vulaires écrase-neige en aluminium, mais des vraies, des babiches en frêne – et nous sommes partis nous colleter à la nature. Comme j’étais Français et de ce fait compatriote de Brigitte Bardot, Tony s’est un peu senti obligé de justifier l’art de la trappe. « Il y a encore 7 ans, je montrais aux touristes comment déposer et relever des pièges, mais les Français, de plus en plus nombreux, ont commencé à prosteter. On a dû arrêter. Les gens ne comprennent pas que la trappe, c’est la recherche du meilleur équilibre possible sur un territoire. Il est pourtant prouvé que la présence d’un trappeur sur une pourvoirie permet de maintenir un nombre plus élevé d’animaux. » 

Tony privilégie les pièges en X, un système à ressort qui tue sur le coup, aux cruels pièges à mâchoires où la bestiole préfère parfois se ronger la patte pour échapper à une lente et pénible agonie. Il insiste sur l’éthique : « Si tu ne passes pas relever tes pièges tous les jours, c’esr du braconnage ». Il aurait presque fini par me convaincre d’enfiler une toque en raton laveur et d’aller taquiner le ragondin s’il n’avait pas évoquer les petits désagréments de l’activité. Il semblerait que de nombreux trappeurs – sans doute pas les meilleurs- se fassent parfois prendre à leurs propres pièges et que certains soient même morts d’hypothermie. Pas facile en effet d’ouvrir ce type d’engin avec une seule main ! D’autres dangers guettent Tony le trappeur : lorsqu’il trappe le castor, il est obligé d’aller sur la glace afin de trouver l’entrée du terrier et tombe chaque année dans l’eau glacée.

J’ai préféré porter mon intérêt sur l’herborisation. Nous avons passé en revue les petites plantes utiles de la région. A un moment, Tony a fait mine de se taire « Écoute, écoute bien… » Je ne distinguais aucun bruit. C’était le silence, le vrai silence, celui d’outre-neige, ouaté et feutré à souhait. « On entend les arbres qui poussent ! »

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