Les Bardenas Reales, un air de Colorado en Espagne

Au nord-est du pays, ce parc naturel alterne falaises, canyon et cheminés de fées. Depuis 1705, les villageois, bergers et moines qui vivent à sa lisière en sont propriétaires.

Par cet après-midi d’un ciel bas troué d’éclaircies, les deux motards anglais s’étonnent de s’être tout bonnement perdus. À la croisée de plusieurs pistes, les voici au milieu d’une steppe herbeuse dominée de loin par des plateaux monumentaux. « C’est le Colorado, ou quoi ? »Â s’exclame l’un d’eux. Les Britanniques parcouraient le nord-est de l’Espagne lorsque leur smartphone indiqua l’existence d’un désert à proximité. Intrigués, ils ont quitté la route balisée pour zizaguer entre des falaises vertigineuses, des crevasses érodées et des cabanes pastorales abandonnées. Égarés dans cet espace insolite, ils emportenteront avec eux l’ivresse d’une bouffée d’exotisme aussi intense qu’inatendue.

Car il y a de quoi être décontenancé par l’irruption des Bardenas Reales entre trois cours d’eau : l’Ebre, l’Aragon et l’Arga. À seulement deux heures de route de la frontière française, là où Navarre est une succession de vallées flanquées de forêts et de hêtres, se déploient ici des plateaux désolés, divisés en trois zones. Au nord, « El Plano » (« la Plaine »), vaste lande d’arbrisseaux que côtoient des champs d’orge, de maïs ou d’asperges. Au sud, « La Negra » (« la Noire », de hautes terres chauves émaillées de bois de chênes kermès et de pins d’Alep. Au centre, « La Blanca » (« la Blanche »), des terres basses striées de couches de calcaire allant du rose au gris, en passant par toute la gamme des ocres.

C’est l’endroit le plus extraordinaire. Le dépaysement est garanti dans chaque recoin du désert, mais là, dans l’immensité de La Blanca, le sentiment d’étrangeté s’assortit d’un doute d’ordre géographique : est-ce une réplique de la Cappadoce anatolienne ? le clone d’un reg algérien ? Un bout d’Arizona ? Aussi loin que porte le regard aucun indice n’accrédite l’appartenance à l’Espagne à l’Espagne, sauf à déchiffrer les pancartes qui alonnent la contrée. Le spectacle happe le promeneur de manière hypnotique. Une succession de crevasses et de ravines grignotent un sol aussi friable qu’une meringue. Côté est, à l’horizon, de fantasques formations rocheuses composent un paysage lunaire. Plus près, au sommet d’un inselberg (petit massif), quatre avutours fauves planent dans un silence de mort. Et puis il y a les cheminées de fées, telle l’emblématique « Castill de Tierra », une élégance conique coiffée d’une dalle de pierre.

Les Bardenas sont avant tout une bizarrerie géologique. Une très ancienne mer intérieure devenue bassin récepteur de sédiments fluviaux et lacustres. Un couloir alluvial où abondent les gypses et les grès, plus ou moins résistants, et les marnes, dont l’extrême fragilité face à l’érosion des vents et des pluies est la cause des ravins ramifiés et des collines ruiniformes. Réduites par la barrière des Pyrénées, les précipitations y sont faibles. Mais, quoique rares, les ondées puissantes drainent d’énormes quantités de marnes vers l’Ebre et la mer. Depuis des millénaires, ce processus érosif a sculpté les 39 000 hectares de cette terre de vent et de soleil pour acceuillir des panneaux photovolcaïques et des éoliennes.

Ce désert géographique l’est aussi parce que personne n’y habite. Pourtant, des hommes fréquentent assiduement les Bardenas : les bergers. Tôt le matin ou en fin de journée, on peut croiser les troupeaux de plusieurs centaines de moutons le long des pistes ou des deux seules routes goudronnées.

Même si le paturage est pauvre, il est vaste et gratuit. Des cratères aménagés depuis des siècles forment, à la moindre pluie, des mares et des étangs faisant office d’abreuvoirs. La douzaine de bergeries en activités s’adossent à des collines pour se protéger du « cierzo », u nvent furieux qui assèche tout sur son passage. Mais les bergers ne passent plus la nuit dans les Bardenas, comme jadis, c’est en jeep que certains d’entre eux regagnent le bercail, le soir venu.

En réalité, un ultime éleveur de moutons vit encore sur ces « badlands ». Après avoir passé l’été dans sa vallée de Roncal, il s’installe dans le désert pour les huit mois qui restent. Lorsque la température le permet, il dort à la belle étoile. Froilan a 82 ans, dont 70 égrénés à conduire sa centaine de bêtes. Le vieux berger célibataire a le nez aquilin, l’oeil couleur bleu azur, des jambes d’acier. Il y a 20 ans, on lui a proposé l’eau courante, qu’il a acceptée à contrecoeur, et l’electricité, qu’il a refusé. « Je pensais me mettre à la retraite très vite. Mais je n’ai pas pu. Hors d’ici, loin de mes moutons, dans un bled, je suis mort. »Â Seules concessions à la modernité : il fait sa popote avec un Butagaz et s’éclaire à la lueur d’une lampe de camping.

Source : Geo Voyage

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