Il est des hommes qui rêvent de voler, François Suchel, pilote de ligne chez Air France, n’aspirait lui qu’à pédaler. Atteri à Canton, il a fait la route inverse jusque chez lui, seul et à vélo. Oublier la frénésie et le confort des airs, quitte à mordre la poussière et goûter enfin à sa propre aventure.
Gamin il rêvait d’être pilote de ligne. Entre aventure et prestige. Si il y est parvenu, le rêve de François Suchel a fini par s’encrasser, abîmé par la routine des longs trajets d’Air France. Las de ces incessants allers et retours, de ces escales trop courtes, le pilote ne fait qu’effleurer ce à quoi il a toujours aspiré.  » Je voulais vivre une aventure, mais je ne faisais que me déplacer ! «  Frustré de passer son temps à survoler le monde sans jamais se poser, il décide d’entreprendre un projet insensé : pédaler entre Canton et Paris ! 10 000 km qu’un Airbus parcourt en 11 heures et demie. Lui se donne huit mois. Huit à vitesse humaine pour  » retrouver l’espace, le sentir dans mes mollets, le peupler de chairs, d’odeurs et de bruits, de langages intelligibles, de signes abstraits et de poésie « .
Fini donc, le temps des coups d’oeil furtifs depuis le cockpit, François veut découvrir cet itinéraire tant de fois parcourur mais dont il ignore tout.
Le temps de la liberté
Le 10 janvier 2010, il accompagne son équipage à l’aéroport de Canton. À l’heure où l’avion décolle, il enfourche son vélo. À la sortie de la ville, il traverse des champs de mandarines éclairés par la lumière blafarde des hangars. Première vision fantasmatique qu’il n’oubliera jamais. Au Kazakhstan, dans cette nature hors norme, il est subjugué.  » Je suis sur une piste, sans clôtures, sans obstacle, le ciel est gigantesque, il change tout le temps et je l’observe sans me lasser. Des bicoques de bergers jalonnent la steppe et je sais qu’à l’intérieur, on m’acceuillera pour la nuit avec du thé… et de la vodka ! « Â
A vélo, françois ressent enfin aspérités du terrain et la variété des lieux. Il est libre de ses mouvements et jouit de pouvoir s’arrêter n’importe où, n’importe quand.
Difficultés de retour
Loin du confort aérien, François roule en moyenne 100 km par jour. Son coup de pédale est vif mais son esprit est lourd. Il sait que sa famille et ses trois enfants l’attendent à Annecy.  » J’étais tiraillé par la culpabilité d’avoir laissé ma famille pour réaliser ce rêve. Je passais pour un égoïste, prêt à abandonner femme et enfants pour vivre ce périple dans mon coin. « Â
Après avoir raté un premier rendez-vous pour cause d’assignation à résidence en Chine, il retrouve les siens en juillet 2010 à Prague, d’où ils repartent tous ensemble en vélo jusqu’à Paris. Le retour à la ville est délicat et l’homme s’étonne de la difficulté à  « retrouver ses pantoufles « .Â
De ce voyage en solitaire, François Suchel a bouleversé ses anciens repères :  » J’ai quitté le fleuve du temps en me baladant sur les berges pendant que les autres continuaient de filer autour de moi « . Peu préssé de reprendre les commandes de son Airbus, il repart quatre mois en Polynésie avec femme et enfants pour retrouver le bonheur au bout du guidon. Depuis cette ultime escapade, François a repris sa place dans les gros avions de ligne. Jusqu’à ce que ses jambes le démangent à nouveau…
Source : A/R magazine voyageurÂ