Entre les quanrantièmes rugissants et les cinquantièmes hurlants

Elles sont inconnues de la plupart d’entre-nous, mais évoquent l’aventure, le mystère et le rêve pour ceux qui savent les placer sur une carte.

Découvertes entre le XVIème et le XVIIIème siècle, les îles Australes sont difficiles d’accès et dotées d’un climat subantarctique hostile. Situées à 3 000 km de La Réunion, elles ne sont atteignables que par la mer. Il faut en moyenne six jours de naviguation depuis Port La Réunion avant d’accoster. Leur nature sauvage, leurs sites grandioses et leur faune tant abondant equ’exceptionnelle, fascinent les quelques privilégiés embarquées dans cette fabuleuse odysée de l’extrême.

Durant leur (courte) histoire, les Iles Australes ont vu sucéder plusieurs tentatives de mise en valeur plus ou moins fructueuses : de l’élevage de bovin à Amsterdam à la chasse à la baleine au Kerguelen en passant par une conserverie de langoustes à Saint-Paul. Toutes ces entreprises connurent l’échec. Ce n’est qu’en 1949, sur l’île d’Amsterdam, que s’installe la première des trois bases scientifiques permanentes toujours en activité aujourd’hui, suivie par celle des Kerguelen en 1950 et celle des Crozet en 1961. Se succèdent chaque année des « missions » regroupant quelques dizaines de scientifques, militaires et autres personnels techniques, auxquels incombent le suivi des protocoles d’études et le fonctionnement des infrastructures des bases. Actuellement, leur seul contact avec le monde extérieur, hormis leurs e-mails et les rares bateaux militaires ou de pêche. Parmi eux, le Marion Dufresne, du nom du découvreur français de l’archipel, un navire multifonctions à la fois cargo, paquebot, porte-hélicoptère, pétrolier et base de recherche océanographique, le tout dans 120 mètres de longueur. Très maniable et totalement autonome, il fait escale dans chacune des bases quatre fois dans l’année, en mars, septembre, novembre et décembre, dates définies par le calendrier optimisé pour la recherche scientifique dans ces contrées reculées.

Quelques unes des cabines du Marion Dufresne sont mises à disposition de passagers accompagnants dit « touristes », contre la coquette somme de 8 000 euros. Pour se prix, il faudra se contenter d’une cabine partagée, le nombre de places disponibles à bord étant très limitée. Les groupes dépassent rarement une dizaine de personnes à chaque voyage. Environ 40 visiteurs privilégiés posent donc pied sur les îles Australes chaque année, et il faut s’armer de patience avant de pouvoir, un jour, prendre part à l’une de ces expéditions… mais également satisfaire aux exigences médicales exigées.

Venus de tous les horizons, les touristes vont cohabiter pendant un mois à bord, le temps nécessaire au bateau pour effectuer sa « rotation » au départ de l’île de La Réunion vers le strois bases de Crozet, Kerguelen et Amsterdam, en passant parfois par Saint-Paul. Certains, argentées, viennent ici ajouter une destination prestigieuse à leur passeport, alors que d’autrees économisent durant des années avant de pouvoir s’offrir le voyage de leur vie. On trouve des couples, des groupes d’amis, des gens seuls, beaucoup de Français, mais aussi quelques étrangers venus du monde entier.

De point de vue de l’expérience touristique, ce voyage est tout à fait hors du commun : loin d’être isolés dans un paradis artificiel, les toursistes embarqués dans le Marion Dufresne vivent 24 heures sur 24 dans la petite communauté du bord, composée de l’équipage, de gestionnaires de l’envronnement, de jeunes scientifiques enthousiastes, de chercheurs de renom qui pour certains en sont à leur dizième ou quinzième voyage, ou encore d’électriciens, mécaniciens, médecins, logisticiens, informaticiens, civils et militaires, tous embarqués dans cette aventure pour une durée comprise entre un et quinze mois. En posant le pied à terre, ils découvrent des contrées rudes mais uniques, une nature originelle foisonnante et largement préservée.

Dès leur accueil à bord, les touristes sont aussi pris en charge par un agent dédié des Terres Australes et Antarctiques Françaises, qui met immédiatement les choses au clair : contrairement à ce qui se passe d’habitude sur un bateau de croisièr, le tourisme est ici une activité secondaire et atypique. La priorité est à la logistiques, à savoir le ravitaillement en nourriture, en énergie, en matériel et personnel, des petites communautés qui vivent là-bas coupées du monde. Durant toute la durée du voyage, le groupe sera très encadré. Le temps est précieux, chaque jour passé en mer ou au mouillage devant une base coûte cher, les fenêtres météorologiques propices aux opérations logistiques sont rares et les conditions de travail souvent périlleuses. Chacun doit donc avoir pleinement conscience des enjeux et respecter les règles à la lettre. Les mesures de sécurité ne sont pas un vain mot ! Une grande partie du voyage se passe à bord du navire, en pleine mer. Attente, visites du bateau, lecture, conférences de scientifiques et d’agents de la réserve naturelle, observation des oiseaux marins, séances philatéliques, repas, et à nouveau attente, structurent les journées. L’ensemble est considérablement compliqué lorsque, une fois arrivé au sein des fameux quarantièmes rugissants, le vent se force et la mer se creuse. Certains disparaissent, accusant leur souffrance au fond de leur bannette, ompatients de retrouver la terre ferme, alors que d’autres profitent du spectacle prodigieux de la mer déchaînée, survolée par d’immenses albatros et de spétrels dansant dans les vagues.

Soudain, dans le brouillard se dessinent enfin les côtes déchiquetées de l’une de ces îles tant espérées. C’est l’effervescence à bord. Jeunes, vieux, scientifiques, gestionnaires de l’environnement, militaires, marins, tout le monde est sur le pont. Il fait 3 degrés, le vent souffle à 50 noeuds et il pleut, mais personne n’a froid, chacun scrute ces côtes découpées où tant d’expéditions ont vu leurs rêves s’envoler. Chez les touristes, comme chez les autres, l’émotion est intense.

Alors se succèdent les escales, Crozet, Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam. Le balai de l’hélicoptère se fait incessant à la moindre accalmie du vent, chargeant et déchargeant tou ce que le peu de temps disponible lui permet : le groupe de touristes se tient prêt pour sauter dans l’engin au premier signal de leur guide. Les frustrations sont inévitables lorsque le temps manque ou fait défaut, mais les escapades dans les bases et leurs environs n’en sont que plus savoureuses. À terre, les agents de la réserve naturelle prennent le groupe en main pour faire découvrir ces trésors de nature. Depuis 2006, date de classement des Terres Australes françaises en réserve naturelle, ces agents arpentent sans cesse les îles pour inventorier et suivre l’évolution de la faune et la flore et mener des programmes de restauration. Ils sont les mieux placés pour faire découvrir toutes les subtilités de ces écosystèmes. Sur certaines îles, il est possible de passer une ou plusieurs nuits dans des refuges qu’ils partagent avec les scientifiques. L’occasion de multiplier les randonées et les visites de sites. Une expérience unique que de réveiller le matin au miieu des manchots royaux à Kerguelen, ou des otaries sur la minuscule île d’Amsterdam.On prend également conscience de la fragilité de ces milieux, qui malgré leur éloignement du monde « réel », sont déjà, à leur manière, lourdement perturbés : les changements climatiques impactent plus fortement ces petits mondes insulaires isolés. Et suite aux entrprises passés de l’homme, pissenlits, insectes, rats, lapin et chats sauvages ont envahis certaines îles touchant directement la faune et la flore natives. Raisons pour lesquelles les consignes environnementales doivent être rigoureusement suivies.

Le temps s’accélère alors. Très vite arrivent les derniers jours, passés dans les eaux chaudes de l’océan Indien. Au cours de ce mois passé ensemble, des liens très forts se sont créés entre certains, alors que d’autres ne peuvent plus se supporter ! Les apéritifs et interminables soirées sous les étoiles se succèdent. Rares sont les touristes déçus de ce grand voyage. À l’horizon apparaissent les côtes étrangement familières de l’île de la Réunion…

Source : Ocean Indien Magazine

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