En Antarctique, la piste aux étoiles

Reclus dans la base polaire de Concordia, quinze Français et Italiens traquent avec leurs téléscopes les planètes et les mystères de l’Univers. Une quête au goût infini.

Des pôles aux étoiles, il n’y a qu’un pas. Surtout à Concordia, la base scientifique la plus reculée de la planète, au coeur du continent Antarctique. Le site est idéal pour observer le ciel : une altitude élévée, 90% de nuits claires en hiver, un froid qui assèche l’air et aucune pollution. Ici, l’isolement est absolu. Aussi, lorsqu’ils s’y rendent, les scientifiques « hivernent », pendant l’année entière. Eric Aristidi, 46 ans, astronome à l’Observatoir de Nice, et l’un d’eux. Arrivé à Concordia à la fin de 2010. Il n’en est reparti qu’en janvier 2012. La base : deux tours sur pilotis, reliées par un tunnel, et cernées d’instruments de mesure. En décembre débute les huits clos pour les ermites de glaces, quatorze Français et Italiens au total. À plus de 3 000 mètres d’altitude, l’oxygène est rare, le souffle court et le froid, l’ennemi permanent. Alors, chacun se débrouille : « Je cale l’isolant pour téléscope au fond de mes chaussures, et en dessous de -65°C, je ne laisse pas un centimètre carré découvert », raconte Eric.

Tous les matins, on dégivre les appareils. À mains nues, par -75°C, serrer la moindre vis devient une épreuve. « Il faut rentrer se réchauffer toutes les trois minutes. Du coup, ce qui prend dix minutes chez nous dure deux heures ici. Sûr, il faut avoir la foi ! »Â Et être multitâche : astronome, mais aussi bricoleur, mécano, fée du logis, électronicien, cuistot parfois. Un job de treize heures par jour.

Pendant les premiers mois (l’été dans cet hémisphère Sud), le soleil ne se couche jamais. Puis en février, le jour et la nuit commencent à alterner. « Là, à chaque coucher de soleil, on voit le rayon vert au-dessus de l’astre. Ça dure une heure… c’est unique », poursuit Eric. Enfin, le 4 mai, les reclus volontaires voient le soleil se coucher pour la dernière fois. Pincement au coeur garanti. Personne ne rate le spectacle : « Le ciel devient mauve, violet, avec des dégradés d’orange. On se croirait dans un tableau de Gauguin ». C’est le moment de la photo-souvenir du groupe. En tee-shirt, c’est la règle. Les poils des bras sont givrés en 10 secondes. La suite ? La nuit polaire, trois longs mois dans les ténèbres. Eric se souvient : « Quand on se couche, il fait noir. Entre les deux, les étoiles brillent, quelque soit l’heure. Moi je suis un noctambule, ça ne me gêne pas trop. Mais certains deviennent peu à peu moroses, se renferment. »

Une psychologue française est d’ailleurs venue à la base pour étudier la vie en confinement, en vue de futures missions sur Mars. Au début de l’hivernage, la tribu est euphorique. Moral d’enfer, la grande aventure ! Mais, après un mois d’obscurité totale, autour de juin, l’idylle se gâte. « Peu à peu, la routine remplace la magie. Les conversations tournent en rond, les tensions apparaissent. Des chamailleries domestiques, le plus souvent. C’est comme un vieux couple… enfin, à quatorze ! » Quelques pauses rompent le train-train. Soirées à thème déguisées, parties de Cluedo, sport en salle. En 2006, la finale du Mondial de football opposait la France à l’Italie. Eric était à la base. « S’il y avait une année dans la création pour ne pas hiverner avec des Italiens, c’était celle-là. » sourit-il. La veille de la finale, un match amical sur la glace (dix minutes !) s’est soldé par 1 à 0 pour l’Italie : avant goût polaire de la défaite de l’équipe tricolore. Au nouvel an, on envoie des cartes postales électroniques aux seuls habitants de ce continent, grand comme vingt fois la France : mile quidams reclus dans une trentaine de bases scientifiques. Ainsi s’étire le temps à Concordia, entre « chasse au spleen » et observation du ciel. Mais en août, à la fin de la nuit australe, la fatigue est génarale, le retour, une obsession. « Ã‡a sent l’écurie », commente l’astronome niçois, qui a sa recette anti-stress : s’éloigner un peu des murmures de la base et s’allonger deux minutes sur la glace. « Le silence est ouaté, il envahit tout. Là, quand il n’y a pas de vent, on peut entendre battre son coeur… »

S’il a fallu aux scientifiques dix ans de travail pour faire officiellement du Concordia un « site astronomique », l’heure de l’observation a maintenant sonné. Avec le téléscope infrarouge automatisé lrait, les Italiens planchent sur la formation des étoiles et les phénomènes de perte de masse des étoiles en fin de vie. Le téléscope français, Astep traque, lui, les exoplanètes, c’est-à-dire les planètes situées hors du système solaire. Il a déjà repéré en deux ans une dizaine de candidates potentielles. Le radiotélescope Cochise se voue, de son côté, aux recherches sur l’origine et l’évolution de ‘énergie noire, l’un des mystères les mieux gardés de l’Univers. Enfin, l’équipe franco-italienne du projet Brain entend bien détecter un écho du fond des âges : le fameux « fond diffus cosmologique ». Une rayonnement émis 300 000 ans après le Big Bang, au moment où les électrons se sont liés aux protons pour former la matière ! Ce rayonnement fossile baigne encore l’Univers et recèle de précieuses informations sur l’histoire du cosmos dans ses premiers instants. Jusqu’ici, seul les téléscopes spatiaux pouvaient l’observer. Ces derniers gravitent en effet bien au-dessus de l’atmosphère dont la forte teneur en eau rend le rayonnement cosmologique invisible depuis la Terre. Sauf à Concordia où l’atmosphère renferme un taux de vapeur d’eau extraordinairement faible. Autant d’engins braqués sur le ciel austral, loin des galaxies qui nous sont familières, évocatrices de la mythologie grecque, comme Pégase ou Cassiopée. Ici, les nuées stellaires ont pour nom les Voiles, la Poupe, la Boussole et le Sextant, ou encore les Nuages de Magellan. Fragments de mémoire des grands navigateurs du temps de la Renaissance.

Source : Geo Voyage

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