Arizona Seniors

Dans le désert de Sonora, Quartzsite compte à peine 3 500 habitants. Mais, en hiver, plus d’un million de retraités y affluent avec leur camping-car. Ils font des économies et redécouvrent la liberté.

On cherche la ville, mais elle n’existe pas. On a bien vu les panneaux indiquant les deux sorties pour « Quartzsite », sur l’I-10 qui file droit vers la Californie, à travers les paysages lunaires de l’Arizona. On a bien quitté l’autoroute, à hauteur de la station sevice-épicerie-douches publiques-laverie automatique. On roule dans ce qui doit être « Mian Street », la route principale mais on ne voit rien qui ressemble à des bâtiments en dur, à part un vieux motel surmonté de sa girouette à la roue immobile. À l’exception de quelques églises, et de la mairie, cube brun en lisière de terrains dénudés, ce que l’on découre ici ressemble à un immense parking, une mer scintillante de toits métalliques, ceux des grands campings  cars que les Américains appellent « motorhomes ». Quelques palmiers étiques, des acacias trop frêles, sont incapables d’ombrager l’immense plaque chauffée par la lumière du soleil . De part en part, de grands cactus Saguaro dressent leur doigt d’honneur vers le ciel d’un bleu dur.

Ils sont un beau symbole de ce qui se passe à Quartzsite. Car il faut être un peu fêlé pour se poser ici, à deux heures et demie de routes à l’ouest de Phoenix, dans l’immense désert de Sonora, dans le plus grad d’Amérique du Nord. Et pourtant, la bourgade compte 3 500 habitants, mais, entre l’automne et le printemps, accueille près d’un million et demi de personnes.

Dès le mois d’octobre, on les voit arriver. D’abord un par un, puis dans un flot ininterrompu de pick-up chargés d’une caravane ou de ces longs bus aux vitres teintées qu’affectionnent les rocks stars en tournée. Les plus riches vont se ranger sous les arbrees maigrelets de l’un des soixante campings privés de la commune. Les moins fortunés roulent jusqu’aux terres dénudées du BLM, qui administre plus de 160 hectares. Peu à peu, les étendus de poussière et de buissons ébourrifés se transforment en immense village de vacances. Bientôt, plus un centimètre carré de désert, plus une place de parking n’échappe à la migration. Ce coin, qui n’a pas d’autre atout que d’être au croisement de deux routes devient le plus grand rassemblement de camping cars de la planète. Et les vacances durent jusqu’en avril, lorsque les grossent chaleurs pointent.

Outre leur amour de la route et du camping, les étranges touristes de Quartzsite ont un autre point commun : ils sont tous à la retraite. Personne ne sait comment tout à commencé, dans les années 1960. Peut-être à cause d’un médecin qui conseilla à un patient d’aller soigner ses rhumatismes dans l’air sec du désert. Toujours est-il que Quartzsite est devenue paradis du troisième âge.

Et pas seulement pour les vertus curatives de son atmosphère. Lorsque l’on demande à Annette et Francis Crandall, qui sont en train de décorer leur petit-bout de désert d’un bric-à-brac coloré, pourquoi ils arrivent du Minnesota, leur réponse tient en deux chiffres : « 190 dollars pour sept mois », dit Francis. C’est le prix que demande le BLM pour ce long séjour dans l’un des camps, du 15 septembre au 15 avril. « On ne peut pas s’offrir le luxe d’un hiver dans le Minnesota  » ajoute Annette. Avec une retraite de 17 000 dollars par an (soit environ 13 211 euros), on comprend que le couple soit soucieux d’économies de chauffage. Un peu plus loin, Steven Arnold, militaire venu de Californie, branche le générateur à pétrole. Il redresse la visière de sa casquette, sourit et dit « Avec un mois de dépenses là-bas, je peux tenir six mois ici. »

Comme la crise économique s’éternise, certains choisissent même de ne plus bouger durant l’été. C’est le cas de Bob Ward, qui dut renoncer à une carrière de golfeur professionnel  après un accident à l’épaule, travailla dans le transport à Los Angeles avant de prendre la route à la mort de son épouse. Avec ses Ray-Ban, sa belle moustache, sa chemise fleurie ouverte sur de grosses chaînes d’argent et son short rouge, on a l’impression qu’il est prêt pour la plage. Mais Bob n’est pas un touriste. Il a garé sa caravane à l’année dans un camping privé. Il lui coûte 1 100 dollars par an, sans l’eau et l’électricité. En été, quand la nuit est presque aussi chaude que le jour, il déplace le lit pour chercher un peu d’air frais et ne pas abuser du climatisateur. Le camping s’appelle « Le Mirage » mais, même au féminin, il ne fait pas vraiment rêver avec ses yuccas que l’on dirait en pot.

Le climat n’est pas le seu lavantage de Quartzsite. Au sud des États-Unis, forcément, on est près du Mexique. Ce qui offre certains avantages en matière de santé. Régulièrement, les nomades grisonnants abandonnent leur caravane, roulent sur la 95 en direction de Yuma, se garent sur le parking de la réserve indienne qui touche la frontière et passent la douane à pied. De l’autre côté, les rues d’Algodones ne sont faites que d’officines et de pharmacies. Les soins, disent les retraités, y sont d’excellente qualité. Et ils coûtent 25% des tarifs demandés par les practiciens yankees.

Mais Quartzsite n’est pas un hospice bon marché. C’est fou comme les retraités s’amusent au milieu du désert. Il faut entendre le rire de Connie Wige, 81 ans, venue de Sopkane avec son amoureux de mari de 79 ans pour jouer à « Geocatching », cette chasse au trésor globalisée qui associe le GPS et Internet. En cette fin de journée, le couple revient d’une virée dans les terres où ils ont marché un bon moment avant de résoudre l’énigme et trouver l’une des caches imaginées par d’autres. Connie est aux anges : « We have a lot of fun together. » Harry Emery, lui, cherche de l’or. Avec sa poêle à frire ou sa machine à tamiser, il parcourt cette région que, par endroits, les mines ont trouée comme un gruyère : « C’est sans doute cela que l’on appelle la fièvre de l’or » dit-il en souriant devant la fiole minuscule qui contient à peine quelques grains de poudre jaune. D’autres s’intéressent à la beauté des pierres et accompagnent Alva Richardson, un habitant de Quartzsite, pour crapahuter dans les collines à la recherche de rhyolites, d’agathes, de roses du désert ou de « bubble gum rocks », que la rivière Colorado aurait machées pendant des millénaires avant de rejoindre son lit actuel, à 17 miles de là. Pendant ce temps, à l’ombre  d’une toile tendue entre les caravanes, Nancy et Jenny répètent leur musique pour la « messe des cow-boys de dimanche », « Slide guitar » pour l’une, accordéon pour l’autre, elles ont l’énergie et la grâce de jeunes filles. Ça balance pas mal à Quartzsite. Bien sûr, ce n’est pas Ibiza, mais entre les bals du QIA et les « jam sessions » organisées, à tour de rôle dans chaque camping, les musiciens ont de quoi donner de la voix et se trémousser. Sur le mur de la salle de bal, une pancarte prévient, humour ou prudence « Dance at your own risk. »

Et puis il y a le feu de camp. Le rituel qui rassemble le voisinage que l’on s’est choisi d’une année sur l’autre, presque soulagé de se retrouver encore une fois. Le moment où l’on est entre soi, communauté informelle mais solide puisqu’elle n’est pas imposée : « La première fois que nous sommes arrivés là, j’ai dit à mon mari : « C’est le trou du cul du monde. » Maintenant, je dis que c’est mon chez-moi », raconte Linda Gumm. C’est pour cela que Jess Hollbrook, 92 ans, a choisi d’enterrer sa femme quelque part dans le désert, ce qui n’est pas très légal. Autour du brasier, tous semblent se pelotonner dans le bleu cuivré du crépuscule. La lune ronde et dorée comme un biscuits’élève sur la crête de smontagnes Kofa, le ciel poudré d’étoiles est traversé par la lueur mouvante d’un satellite. Plus tard, avec un peu de chance, on entendra l’aboiement d’un coyote en éprouvnt un doux frisson à retrouver un peu l’esprit des pionniers.

Ils reposent dans le petit cimetière ouvert à tous les vents, non loin de l’I-10. Avec le minuscule musée, c’est le seul morceau d’histoire qui perdure à Quartzsite pour raconter la fin du XIXème siècle. Le bled, alors appelé « Tyson’s Well » (le puits de Tyson), n’était qu’un relais justifié par l’unique point d’eau à des kilomètres à la ronde. Puis il attira quelques prospecteurs, des éleveurs et les commerçants qui allaient avec. Une étrange pyramide surmontée d’un chameau s’élève parmi les tombes. Elle rend hommage à l’un des chameliers venus se perdent ici lorsque l’armée se piqua – brièvement – d’introduire l’animal dans les déserts du Sud Ouest américain. L’homme était syrien, musulman, et se présentait comme « Hadj Ali ». Quartzsite l’a appelé Hi Jolly, qui fait plus western, et lui a consacré cette petite pyramide de pharaon. Vu d’ici, l’Arabie est lointaine et Damas, à coté du Nil…

Lorsqu’ils ne quittent pas cette ville trop peuplée l’hiver et presque fantôme l’été, les petits-fils de fondateurs cherchent l’or du tourisme. C’est le cas de Kim Scott, 45 ans, qui gère le Tyson Wells Show », immense parce d’exposition et foire aux cailloux, où l’on vient vendre cristaux, pierres précieuses, roc et bois pétrifiés récoltés partout dans le monde. En janvier et février, Quartzsite devient « Capital of the rocks » mais aussi immense marché aux puces où près de 1 500 vendeurs proposent tout et n’importe quoi. C’est le moment où il faut supporter quarante-cinq minutes d’embouteillages pour traverser la ville et près d’une heure pour obtenir une table chez Silly’s Ale (« famous pizza »). Frank Scott, le père de Kim, n’a plus une minute à lui dans son salon de beauté où six employées pomponnent les dames des « motorhomes ». Mais au printemps, il plie boutique et retrouve le désert, dont il semble tout connaître. Quelques heures de marche à ses côtés dans ce paysage desséché sont comme les pages d’un livre d’aventures : les pétroglyphes et les traces laissées par les Indiens lors de leur migration saisonnière, les différentes sortes de cactus (celui dont il fallait mâcher la pulpe pour ne pas mourrir de soif, celui qui donnait les aiguilles suffisament dures et souples pour les premiers grands gramophones), les traces des animaux (cerfs, coyotes ou lynx) , les voleurs de bétail venus de Yuma qui attachaient le spattes des vaches ensauvagées… On dirait un roman de Cormac McCarthy. On comprend alors que l’on puisse s’attacher à ce grand rien tout autour de Quartzsite.

D’ailleurs, certains nomades finisssen par jeter l’ancre. Des personnages, certes. Il y a Shanana « Rain » Golden Bear, la journaliste, éditrice du « Desert Messenger », le jounral local, qui aimerait tellement être indienne qu’elle s’est fait tatouer deux nuages chargées de pluie au coin des yeux. Il y a Paul Winer, le libraire pianiste qui, depuis plus de vingt ans, tient commerce uniquement vêtu de son chapeau de cow-boy, de ses lunettes de soleil et d’un minuscule cache-sexe que l’on imagine tricoté au crochet par sa femme Joean, très décemment couverte et bénévole infatiguable au service de Quartzsite.

Mais depuis des mois, Paul n’est plus la seule attraction. Le maire, son conseiller municipal, le chef de la police et ses hommes, plus le propriétaire d’un salon de toilettage canin, tout ce petit monde s’empaille, s’accuse de corruption, porte plainte. C’est « règlements de comptes à OK Corral », même les quotidiens nationaux en ont parlé. Puis le monde entier a vu le directeur de l’école, filmé en train de filrter avec la secrétaire par une élève qui a tout mis sur Internet. Les querelles de clocher et les potins sont devenus rumeur virale et planétaire. De quoi ruiner l’image de l’endroit auprès des têtes blanches. Dépités, lassés, les habitants espèrent que l’oeil global trouvera vite d’autres poubelles à fouiller. Pour que, au milieu de son désert, Quartzsite redevienne la ville qui n’existe pas.

Source : Geo Voyage

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