Amicalement Vosges

Albérie d’Hardivilliers nous raconte son voyage…

Il m’est arrivé pendant ce voyage de parcourir La France de Raymond Depardon où, dans le texte, d’introduction, je tombai sur ces quelques lignes : « Il m’a fallu du temps pour faire ces photographies, toujours plus curieux, préoccupé de ne pas passer à côté des choses simples, si simples que je risquais de ne plus les voir après des mois de route. » J’y ai beaucoup repensé car rien d’exotique ne vient ici arrêter l’oeil : les montagnes n’ont rien de dramatique et trois guerres successives ont malheureusement détruit l’architecture locale. Et pourtant… pourtant. Après deux ou trois jours, il commence à se dégager des fo^rets et des hameaux un charme bien particulier, un charme très simple et très discret qui demande avant tout, pour être apprécié, de prendre son temps. À partir de là, j’ai commencé à regarder le paysage autrement, à aimer le brouillard blanc sur le Hohneck, la lumière claire au pied des mélèzes, la sombre intimité du défilé de Straiture, l’humidité suintante sur les façades grises des maisons de Plainfaing et l’ordre réconfortant des tas de bois alignés contre les murs des fermes. J’ai aimé tout ça, et le froid, et la neige, et l’odeur de résine et la brume sur le petit Lac des Corbeaux et la manière aussi que l’on avait, avec une politesse simple, de m’inviter à entrer dans les cuisines pour prolonger une conversation entamée sur le bord de la route.

Car il y a les Vosges, et les Vosgiens. Le Vosgiens d’abord un peu âpre comme un alcool de noix, rugeux, râpeux, avec le verbe lent et la poignée de main ferme. Le Vosgien d’abord vaguement suspicieux et puis si facilement chaleureux. Il y a eu Michel qui débardait un hagis et avec qui, à neuf heures du matin, nous avons un peu causé debout devant un grand feu où brûlaient des têtes d’épicéa : Monsieur Viry au moulin de Rehaupal ; Holvek qui nous parla de ses dix enfants devant un panneau publicitaire ventant l’efficacité du « charbon actif propolis en gélules » ; et puis Christian et son épouse Françoise dont l’acceuil et la choucroute maison resteront longtemps un de mes meilleurs souvenirs de voyage.

Christophe Toussaint

Les plus grands luthiers des Vosges sont à Mirecourt. C’est un fait incontestable : la brochure de l’Office de tourisme le dit. Il s’en cache pourtant un autre, plus discret mais à peine moins célèbre sur les hauteurs de Dommartin, à proximité de Remiremont. Son nom : Christophe Toussaint, maître ès épinette des vosges, ce petit instrument assez peu puissant, dont la forme rappelle vaguement celle d’une cithare, sort des « notes bio ». 

Avant de rencontrer Christophe, vous ignoriez complètement jusqu’à l’existence même de ce petit instrument. Mais voilà, une demi-heure plus tard, vous êtes convaincu ! Mieux, vous voulez devenir luthier et passer des heures dans un atelier à poncer un morceau d’érable ou de mérisier en rêvant de monter un groupe de folk.

C’est que Christophe sait parler, simplement, sans précipitation, mais avec une passion non dénuée d’humour. De là sans doute le succès des spectacles qu’il organise chez lui, dans la « salle aux épinettes », pour les « enfants et les alzheimer ».

Monsieur Viry

Au moulin de Rehaupal, la farine est une affaire sérieuse, mais une affaire de famille avant tout. Depuis 1680 en effet, on fabrique ici une farine artisanale de qualité à base d’épeautre, de seigle ou de blé dont une partie est produite dans les champs attenants. Mais aujourd’hui, comme le dit le propriétaire, monsieur Viry, avec une voix très douce et trrès lente, « la farine, c’est pas du tout cuit ». « Ils voulaient qu’on mette plein de merde dedans, nous dit-il, et ça, c’était pas possible. » Par voie de conséquence, cela stoppa net la vente aux boulangers, surtout ceux financés par les moulins industriels… Au final, la production n’est plus que de cinq à six tonnes par mois. Tout juste de quoi vivre. Mais alors, les « merdes dans la farine » ? Les contrôles sanitaires ? Ça va durer combien de temps tout ça ? La réponse de monsieur Viry fut pleine d’un pragmatisme un peu désabusé mais non sans humour : « On est un peu comme le zoo du coin. Les espèces menacées : on les protège. » De fait, le moulin est aujourd’hui un des sites préférés des classes primaires, des touristes et, bien sûr, des amateurs de bon pain.

Source : A/R Magazine voyageur

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